Mettez un peu de fantasy dans votre vie !

En tant que romancière de Fantasy, il semblait inévitable que je vous concocte un petit post sur la Fantasy et les sempiternels préjugés. J’écrirai d’autres articles sur la littérature de l’imaginaire, mais je tenais pour le premier à militer en faveur de la Fantasy et rétablir son image auprès du public. Vous comprendrez mieux mon propos avec cette simple anecdote.

Je suis à une soirée et je me présente pour la première fois à un ami de mes hôtes. Lorsque je lui annonce que je suis écrivaine, le regard de mon interlocuteur s’allume d’une lumière d’intérêt doublé d’un petit sourire. Dès que je précise que je compose de la Fantasy, la figure de mon vis-à-vis se ferme et un rictus condescendant froisse ses lèvres. (Je vous ai fait grâce de la phase je suis autoéditée et de la grimace qui s’ensuivit.)

En France, on se permet de juger un ouvrage en fonction de son genre plutôt que sur sa qualité. Dans notre beau pays, on ne jure que par la grande littérature, la seule reconnue et valable. Et pire, on s’autorise à opposer les diverses familles littéraires pour fustiger les autres disciplines, et plus particulièrement la Fantasy.

Que lui reproche-t-on au juste ?

La Fantasy campe en guise de décor des mondes imaginaires et donc totalement déconnectés de la réalité. On l’accuse de vouloir de faire du « commercial ». Les auteurs de Fantasy ne possèdent aucun bagage culturel, leurs questionnements et leurs réflexions sur la vie sont inexistants. Ils abaissent le niveau, le style de leur prose pour plaire aux jeunes. La Fantasy est un genre archétypal. Elle décline à l’infini le thème « sauver le monde » saupoudré de violence, de magie, de scènes de sexe insipides…

Stoppons là le massacre. C’est mensonger, hypocrite… et insupportable.

Il serait peut-être salutaire d’arrêter de vouloir à tout prix comparer les genres. C’est à la fois stupide et impossible. La grande littérature entretient le patrimoine ancestral (là je force le trait par esprit de polémique) français alors que la Fantasy a vocation de divertir.

Imaginer l’ennui, la lassitude si tous les textes étaient rédigés comme Sartre, Molière ou Pascal. Et arrêtons d’associer l’argent à une insulte. Tous les auteurs veulent vendre leurs livres. N’est-ce pas le but (en plus d’être lu) ? Ne devrions-nous pas nous en réjouir plutôt que de les traiter de « vendu » ?

Bon, je reconnais qu’il existe beaucoup de daube parmi les livres de Fantasy, mais c’est vrai à tous les niveaux de la littérature. À nous de faire le tri entre les bons et les mauvais romans. En France, contrairement à ce que nous ressasse la presse, nous possédons de très bons auteurs de Fantasy qui manie notre langue avec brio, Jaworki, Grimbert, Niogret et qui n’ont rien à envier à un Houellebecq et une Nothomb. Lisez-les et vous serez étonné de leur qualité narrative.

<Aparté> Personnellement, je mets un point d’honneur à proposer un niveau littéraire soigné, ainsi que des personnages avec une vraie épaisseur (qui ne soient pas un gentil ou un méchant). La littérature de l’imaginaire le mérite. Tout auteur de Fantasy digne de ce nom a le devoir de sortir sa discipline de la « boue » dans laquelle on s’acharne à la maintenir, de gommer cette impression déplorable que les histoires du merveilleux sont écrites à la va-vite sur la nappe en papier d’un resto. Même si les travaux d’Anne Besson ont redoré quelque peu l’image de la Fantasy et la rend plus fréquentable, toutefois, elle reste encore sur le marchepied.

</Aparté>

Quant au paradigme héroïque et cyclique de ses livres, beaucoup d’auteurs hésitent en effet à s’aventurer vers d’autres voies de peur de perdre leur lectorat. Toutefois, de plus en plus d’écrivains s’enhardissent à tuer le Maître (Tolkien), à revisiter les classiques, à casser les codes. Citons Robin Hobb (Assassin royal) qui propose un antihéros trouble, Georges RR Martin (Trône de fer) qui retarde l’arrivée de la magie, J. K. Rowling (Harry Potter) dont le héros est très banal, un gamin lambda. Alors de grâce, arrêtons de généraliser, de dire tout et n’importe quoi.

Je me gausse lorsque les gens m’expliquent qu’ils ne supportent pas la Fantasy du fait qu’elle se révèle trop improbable, invraisemblable. Pourtant, les succès au box-office des films tels que « Le seigneur des anneaux », « Star wars », « Interstellar », « Seul sur Mars » (oui, je sais ces deux derniers sont des films de SF), démontrent tout le contraire. Le public aime naturellement (à l’insu de son plein gré) la littérature de l’imaginaire. Parce qu’elle parle à l’enfant caché en chacun de nous. Elle évoque une réminiscence des contes et légendes qui berçaient notre enfance. La Fantasy est la version adulte de nos rêveries enfantines. Elle nous donne l’autorisation (nous les adultes) de continuer de rêver d’aventures, de fresques épiques et romantiques.
Un lecteur de Fantasy est (sans doute) quelqu’un qui a conservé une âme d’enfant, mais cela n’en fait pas un débile attardé. Un lecteur sain d’esprit ne confond pas la fiction et la réalité. Un lecteur sain d’esprit ne croit pas plus aux histoires de Fantasy qu’un enfant aux contes. Un lecteur sain d’esprit sait que la Fantasy est une littérature d’escapade chimérique temporaire et non un moyen de fuir le réel. La Fantasy propose un réenchantement du quotidien passablement désenchanté. N’est-ce pas le propre de la lecture que de procurer du plaisir et du dépaysement (quel que soit le genre) ? Pourquoi serait-il plus néfaste de lire de la Fantasy ?
Ah oui, j’oubliais… les auteurs de Fantasy sont des ignares, leurs écrits n’apportent aucune forme de culture, aucune réflexion sur notre société. Contrairement aux idées reçues, ces auteurs se cultivent, travaillent leur sujet pour proposer des récits pertinents et crédibles. Gavriel Kay dans » Les chevaux célestes » dresse un portrait époustouflant d’une Chine inspirée de la dynastie Tang. Raymond Feist dans la « Trilogie de l’empire » propose une Corée féodale plus que convaincante.
La Fantasy compte certes de nombreux (trop) ouvrages sans saveur, de la profondeur d’un pois chiche, mais au risque de me répéter, comme dans toutes les disciplines de la littérature. La Fantasy urbaine par exemple porte un regard critique sur notre société sans employer le ton déromancé des œuvres littéraires (estampillées grandes) actuelles. Plus généralement, la Fantasy s’intéresse aux thèmes universels de l’humanité, la mort, la trahison, la souffrance, l’amitié, l’amour, la volonté de triompher des obstacles de la vie – comme la grande littérature.

Faites-moi confiance, messieurs dames, essayez de lire un peu de Fantasy de temps à autre. Ne laissez pas quelques élitistes gâcher votre plaisir. Il n’existe pas de vraie ou de fausse littérature seulement des bons ou des mauvais livres. Contrairement au Goncourt, elle risque de vous redonner le sourire et de vous aider à supporter les tracas du quotidien.

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